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❖ L'agriculture

Entre la fin de l'ère glaciaire, soit quelque dix mille ans avant notre ère, et l'émergence au Proche-Orient de la première civilisation, la vie quotidienne des populations subit des modifications importantes. A la fin de cette période, de petites bandes menaient une existence nomade, vivant de chasse et de cueillette. En l'espace de quelques milliers d'années, l'introduction du travail de la terre allait faire surgir villages et cités. L'agriculture transforma radicalement la société, entraînant la sédentarisation des populations, mais créant également les conditions propices à l'apparition de nouvelles technologies, telles que la poterie et le travail des métaux. On peut donc dire qu'elle jeta les bases économiques de la civilisation.

Sur les hautes terres du Croissant fertile, qui décrit un arc d'ouest en est de la Palestine aux monts Zagros, les hommes cultivaient des céréales telles que le blé et l'orge. La découverte de lames de faucilles indique que, vers 15000 avant Notre Ere, les populations de chasseurs moissonnaient ces céréales. Quelque cinq mille ans plus tard, le processus s'intensifia et, en Palestine et en Syrie, des communautés sédentaires conservaient le grain sauvage dans des fosses.
Un millier d'années plus tard, les populations néolithiques du Proche-Orient apportèrent l'une des plus importantes contributions à l'évolution de la société lorsqu'elles entreprirent de cultiver la terre. Par la sélection des semences et des récoltes, les espèces sauvages furent domestiquées. On ignore où et quand a débuté l'agriculture. Jéricho, la ville biblique édifiée par Josué, est la première communauté agricole connue, mais c'est dans le sud-est de l'Anatolie et dans les monts Zagros que l'on trouve l'agriculture pratiquée à grande échelle ; vers 7000 avant notre ère elle s'était répandue dans la majeure partie du Moyen-Orient. A cette époque, les animaux, notamment les chiens, étaient également domestiqués.
Les villages agricoles se développèrent, et, en Palestine, où les premières communautés habitaient des huttes, les populations vivaient désormais dans des maisons au sol de plâtre peint. Elles fabriquaient des paniers, tissaient le lin et creusaient des récipients dans la pierre. L'acquisition de ces techniques fut possible grâce à l'accroissement du rendement de la terre, qui, en permettant de nourrir plus de monde, autorisait ainsi la spécialisation.
En 1983, on a découvert sur le site d'Aïn Ghazal, en Jordanie, plusieurs statues grandeur nature d'hommes et de femmes, modelées sur une ossature de roseau, probablement destinées à un usage religieux ou rituel. A Jéricho et dans d'autres sites, on a également trouvé des crânes recouverts de plâtre, aux orbites incrustées de coquillages, dont on pense qu'ils avaient un rapport avec le culte des ancêtres. Autant de signes témoignant de l'importance croissante de la religion.
Le peuplement de Jéricho, lié à la présence d'une source, remonte à 9000 avant notre ère. Mille ans plus tard, il s'agissait d'une ville d'une superficie de 10 acres. C'est l'époque où furent édifiés un mur d'enceinte et une tour, en pierre, certainement en guise de protection contre les assaillants ou les inondations. La population s'élevait alors à 1 500 habitants, peut-être 3 000. On ignore à quoi Jéricho dut sa prospérité, sans doute au commerce du sel et du bitume, disponibles en quantité dans la mer Morte. L'importance du commerce à l'époque était, en effet, déjà manifeste.

❖ Domestication

Les débuts de l'élevage ont suivi de près ceux de l'agriculture, vers 9000 avant notre ère. Au fur et à mesure que les espèces animales étaient domestiquées, elles se transformaient ; les spécialistes distinguent les espèces sauvages des espèces domestiques grâce à l'analyse des ossements. La variation des proportions relatives de telle ou telle espèce est un autre signe de la domestication. Le schéma ci-dessous met en évidence ce processus à Jéricho entre 8000 et 6000 avant notre ère. En 7000 plusieurs animaux sauvages du Proche-Orient — le loup, la chèvre sauvage, le mouflon d'Asie, le sanglier, l'auroch et le chat sauvage — donnèrent naissance à leurs équivalents domestiques, le chien, la chèvre, le mouton, le porc, la vache et le chat. L'âne et le cheval furent domestiqués vers 4000 avant notre ère.
Les premiers fermiers continuèrent à chasser alors même qu'ils élevaient déjà des troupeaux et du bétail. Les chiens avaient été domestiqués dès 10.000 avant notre ère, parce qu'ils présentaient un grand intérêt pour les chasseurs. Les chèvres, qui fournissaient non seulement de la viande mais aussi du lait, offraient en outre l'avantage d'être peu exigeantes en matière de pâture et de fourrage. On élevait le mouton surtout pour sa laine, quant aux bovins et aux ânes, ils étaient très appréciés comme animaux de trait.

❖ Les cités

A partir du VIIe millénaire le développement des techniques et de l'artisanat au Proche-Orient stimula le commerce et l'exploitation des ressources naturelles. Ainsi, on a découvert de l'obsidienne à Jéricho — une roche volcanique vitrifiée servant à fabriquer des outils tranchants —, provenant d'Anatolie (Turquie), à 800 kilomètres de là. De même, des pierres semi-précieuses, des coquillages et du bitume ont été trouvés sur des sites très éloignés de leur lieu d'extraction. Quel qu'ait été alors le mode de diffusion des marchandises, il est clair que les progrès du commerce ont coïncidé avec une plus grande prospérité des villages.

Le développement de l'agriculture s'accompagna de celui de la poterie. Si l'on travaillait déjà l'argile avant le VIIe millénaire, il s'agissait d'argile crue, d'un usage limité. L'argile cuite, elle, est virtuellement indestructible, ce qui permet aux archéologues de comparer les divers types de poterie et d'en tirer de nombreux enseignements. Autre progrès technologique majeur de la période, le travail des métaux, qui a permis à l'homme de mieux contrôler son environnement. Au début, le cuivre natif était simplement martelé et découpé au moyen d'outils de pierre. On a retrouvé des objets de cette période dans le sud-est de l'Anatolie, à Çayönü. Mais ce qui révolutionna le travail des métaux, après 7000, fut la découverte que l'on pouvait obtenir du métal pur en chauffant le minerai. Le plus ancien objet moulé en cuivre provient, lui aussi, d'Anatolie et a été fabriqué vers 5000.

Les fouilles pratiquées à Çatal Höyük, une ville d'Anatolie datant du Vile millénaire, ont mis au jour un ensemble néolithique plus riche que n'importe quel site de peuplement antérieur. Il s'agit du plus vaste site néolithique du Proche-Orient, et les réalisations artistiques de ses habitants attestent le savoir-faire et la créativité de l'homme du néolithique. Quatorze niveaux ont été mis au jour (vers 6800 à 6200), témoignant. de ce que cette ville de 5 000 habitants vivait de l'agriculture, mais se spécialisait également dans l'artisanat de luxe.
Çatal Höyük faisait le commerce de l'obsidienne, probablement extraite des volcans voisins de Hasan Dag et Karaca Dag. Les maisons, construites en brique et en bois, étaient accolées et accessibles par le haut au moyen d'échelles. Chacune se composait d'un cellier et d'une pièce, contenant un mobilier « intégré », généralement une banquette et des plates-formes faites pour dormir, s'asseoir ou travailler, et sous lesquelles on enterrait les morts. A l'une des extrémités était installée la cuisine, comportant un four et un feu ouvert.
Plusieurs édifices sont supposés avoir joué le rôle de temples. Bien qu'ils soient dépourvus d'autel, la présence de statuettes de divinités, de peintures et de reliefs portant des motifs symboliques indiquent une fonction religieuse. Des peintures murales représentant des taureaux paraissent évoquer des festivités rituelles, et des têtes de taureaux en plâtre ornent également les parois des niches. Des fresques de vautours dépeçant des cadavres et la découverte de crânes humains dans un temple où les peintures semblent représenter des prêtres déguisés en vautours évoquent quelque rite funéraire.
Si, au cours du Vile millénaire, la majeure partie du Proche-Orient abritait des communautés rurales, il s'agissait généralement de villages. Cependant, l'extraordinaire site de Çatal Hôyük, en Anatolie occidentale, comptait déjà 5 000 habitants avant les années 6000. Si, aujourd'hui, ce site apparaît comme un phénomène isolé, ce pourrait être dû à un manque d'informations concernant l'Anatolie de cette époque.
C'est en Mésopotamie, où l'agriculture s'était développée vers 6500, que fut inventée l'irrigation, ce qui autorisa la mise en culture des plaines alluviales du Sud — fertiles mais privées de pluie. L'augmentation des rendements permit alors d'alimenter une population plus nombreuse et contribua à favoriser la naissance de la civilisation sumérienne.
Dans les temps historiques, les Mésopotamiens voyaient dans Eridou la première ville sortie de terre.
Selon le Poème de la Création, le livre sacré de Babylone,

Aucun roseau n'avait poussé,
Aucun arbre n'avait été créé,
Aucune maison n'avait été édifiée,
Aucune ville n'avait été bâtie,
Toutes les terres étaient mer.
C'est alors qu'Eridou fut construite»

Édifiée au Ve millénaire, Eridou comportait un petit temple, doté de la niche-autel et de la table d'offrandes que

l'on retrouverait par la suite dans tous les temples mésopotamiens. A Eridou et sur d'autres sites, les objets de plus en plus sophistiqués, en pierre, en céramique ou en métal, attestaient la prospérité de la cité et l'élargissement de ses liens commerciaux. C'est à partir de ces centres qu'allaient se bâtir les premières villes.

 

En dehors de Carthage, où le peuple s'oppose incontestablement à une aristocratie de familles riches, nous ignorons tout des structures sociales des cités phéniciennes et en particulier de l'origine (fonction militaire, richesse agraire ou richesse tirée du commerce?) des oligarchies que l'on croit voir un peu partout.

Astarté (British museum)

Mais, en admettant qu'il n'y ait pas de vraie politique économique dans l'Antiquité, il est tout de même évident que, chez les Phéniciens au moins, le progrès économique est une affaire qui intéresse la cité.
Chaque Etat comporte une bande étroite allongée de la mer à la haute montagne, avec les abris du littoral, une petite plaine agricole, la montagne portant des terrasses pour la culture, et, plus haut, des pâturages et des forêts. Cet ensemble est bien utilisé : blé, olivier, vigne donnent de bons rendements; la collecte du murex (coquillage dont la chair putréfiée sert à teindre les tissus en couleurs foncées, rouge ou bleu) et l'exploitation de la forêt (cèdre, genévrier, sapin, pin, etc., donnant bois et résines) procurent des produits de grande valeur.

Mais ces cités-États et même la totalité de la Phénicie ne constituent pas un ensemble économique équilibré, faute de place pour l'expansion de la population agricole et de certaines matières premières (comme les métaux) pour l'artisanat local. D'autre part, comme l'ensemble du couloir syrien, la Phénicie, politiquement morcelée du fait de sa géographie, attire les conquérants étrangers. Pour les besoins des rois locaux et surtout pour le tribut exigé par les empires égyptien ou asiatiques, les Phéniciens doivent continuer la tradition des Cananéens : ils développent et perfectionnent leur artisanat en empruntant les techniques des autres civilisations et, puisqu'il faut absolument importer du ravitaillement et des matières premières rares, ils se spécialisent dans le commerce en exploitant leur situation privilégiée sur le littoral de cette zone de passage qu'est le couloir syrien.

Source: Grande Encyclopédie Larousse 1971 page 9354