Le Grenier de Clio : Mythologie aztèque.

Maguey.

Que ce soit dans les terres froides ou chaudes, en plaine ou en montagne, cet environnement convient parfaitement au maguey cette grande agave aux feuilles en forme de lames de sabre qui pousse à travers tout le Mexique.

Tout comme le maïs fournit à l'Indien la nourriture de ses graines d'or, le maguey lui a fourni au fil des siècles sa fibre pour l'habillement, ses dards pour la défense et sa sève pour l'hydratation. La sève du maguey est récoltée à l'aube dans de grandes calebasses, puis l'aguamielero la vend dans les villes et les villages en transportant son âne devant lui. Son chant résonne dans les petites rues endormies avant l'aube. L'eau de miel du premier jour est délicate et légère, offrant une expérience gustative raffinée et plaisante. En fin de journée, elle commence à rayonner de brillance. Le jour suivant, après avoir consommé de l'alcool, elle s'est transformée en pulque, une boisson fermentée aux propriétés reconstituantes. Le pulque du troisième jour est dense et visqueux, avec une saveur âpre rappelant la lie. Il entraîne une forte intoxication chez les habitués des bars de bas étage.

On raconte que l'eau de miel a été créée il y a longtemps par une jeune fille du peuple toltèque. Cela s'est déroulé à Tollan, la capitale des Toltèques, peu de temps après le départ du dieu Quetzalcoatl, expulsé de la ville par le grand-prêtre Hueman. Aux alentours de Tollan, résidaient un fermier et son épouse. Leur fille, belle et sage, répondait au nom de Xochitl, signifiant Fleur. Elle venait de fêter ses quinze ans.
Un matin, alors qu'elle se baladait près de chez elle, Xochitl aperçut un magnifique papillon qui butinait de fleur en fleur. Elle tenta de le saisir, mais le papillon s'échappa. Agile, elle le poursuivit à travers les champs. Le papillon semblait se moquer de lui. Il s'installa finalement au sommet d'une énorme fleur de maguey.

Fleur d'Agave

La fleur de maguey, qui prend dix à vingt ans pour éclore, est une couronne d'or pâle éclatante au sommet d'une tige droite et lisse, haute de plusieurs mètres. Malgré sa tentative, Xochitl se rendit compte qu'elle était toujours trop petite pour attraper le papillon, elle décida donc de grimper avec audace. Elle posa délicatement ses pieds sur les feuilles, puis se faufila habilement à travers les épines pointues dressées devant elle. Son objectif s'approcha progressivement. Le papillon était sur le point d'être attrapé. Discrètement, Xochitl défit son foulard pour en créer une sorte de filet. À cet instant, le papillon prit son envol. En tentant de l'attraper en plein vol, Xochitl fit un mouvement maladroit. Son pied a glissé et elle est tombée au sol, brisant ainsi l'une des plus grandes feuilles du maguey.
« Pourquoi m'as-tu blessée, Xochitl ? » demanda la fleur d'un ton gémissant.
À cette époque, il n'était pas inhabituel d'entendre les animaux ou les plantes parler. Assise par terre et encore légèrement étourdie, Xochitl ne fut pas trop étonnée.
« Pardonne-moi, bel agave, dit-elle. Je n'ai pas agi intentionnellement. »
« Je suis consciente  de cela, sinon je t'aurais déjà blessé de mes épines ! »
« Peut-être puis-je aider à guérir ta blessure ? »
« Non, Xochitl, ce qui est fait est fait. Je te remercie pour cette proposition et je tiens à t'en récompenser. Bois un peu du suc qui s'écoule de ma feuille brisée. »

Xochitl approcha ses lèvres de la cassure. La sève du maguey apporte une sensation de fraîcheur vivifiante en bouche. A peine avait-elle bu une gorgée que la fleur de maguey disparut, laissant place à une belle jeune femme dont le buste émergeait de la plante.

« Ne crains rien, Xochitl, dit l'apparition, je suis Mayahuel, déesse du maguey.  Regardez cette petite coupure sur le pouce de ma main droite : c'est toi qui me l'a causée. Nous, magueys, avons été créés pour offrir notre sang, donc je ne peux pas te blâmer. Étant donné que vous avez découvert notre secret, il t’incombe désormais de le divulguer aux hommes. tu vas suivre mes instructions. Tu ne le regretteras pas. »
«  Je suivrai vos conseils, ô Mayahuel. »

« Ce soir, une fois que tes parents seront endormis, choisis parmi les machettes de ton père celle qui possède la lame la plus longue et la plus fine. Rends-toi dans le champ le plus proche de votre maison. En prenant soin de sélectionner des plantes sans fleurs, coupe à la base les feuilles les plus hautes d'une dizaine de magueys pour former une cuvette au cœur de la plante. Ensuite, tu retourneras te coucher. Au lever du jour, tu iras à nouveau dans le champ. À l'aide d'un roseau creux, tu aspireras la sève collectée dans chaque cuvette pendant la nuit, puis tu la verseras dans une calebasse propre. Une fois achevé ce travail, choisis tes vêtements les plus élégants et demande à ton père de te conduire au palais du roi. Lorsque vous serez en sa présence, présente-lui la calebasse en disant que vous lui apportez de l'eau de miel. Maintenant, au revoir, Xochitl. Tu ne me reverras plus jamais car j'ai accompli ma mission sur terre en offrant aux hommes le cadeau que je leur avais réservé. Il appartient à ceux-ci d'en tirer profit. »

Xochitl ne voyait plus que le grand maguey agitant sa tiare d'or dans la brise. Cependant, l'arôme exquis de la sève perdurait encore sur ses lèvres. Pensive, elle rentra chez elle et, le soir venu, suivit point par point les instructions de la déesse. Le matin, vêtue de son huipil brodé d'or et couronnée de fleurs des champs, elle se présenta devant son père.
« Père, conduis-moi auprès du roi, » déclara-t-elle.
« Auprès du roi, ma fille ? Mais tu es folle ! Qu'as-tu donc à dire au roi ? » s'étonna-t-il.
« Je dois lui remettre cette calebasse pleine d'eau de miel » répondit-elle.
« De l'eau de miel ? Te prendrais-tu pour une abeille ? » railla-t-il.
« S'il vous plaît, mon père, goûtez de cette liqueur, et vous comprendrez alors pourquoi je dois la porter au roi. »
Après quelques hésitations, le père de Xochitl but une gorgée d'eau de miel, et s'exclama aussitôt :
« Certainement, ma fille, un tel breuvage ne vient pas de cette terre ! Où donc l'as-tu découvert ? »
« Dans notre champ, mon père, » répondit-elle, lui racontant toute l'histoire en détails. Après avoir entendu ces paroles, le père approuva d'un signe de tête.
« Viens avec moi chez le roi », déclara-t-il sobrement.
Le roi de Tollan à cette époque était Tecpancaltzin, un prince sage et bienveillant qui accueillait volontiers tous ses sujets, même les plus modestes. Il présidait une réunion dans la vaste salle de réception de sa résidence officielle. Le conseiller attitré des rois toltèques depuis le départ de Quetzalcoatl, le vieux Hueman, se tenait aux côtés de Tecpancaltzin.

La découverte du pulque par José María Obregón;

En 843, un homme de Toltec nommé Papantzin a inventé un type de sucre fabriqué à partir de la plante Agave. Lui et sa fille Xochitl ont apporté le sucre en cadeau à Tecpancaltzin Iztaccaltzin. Tecpancaltzin est tombé amoureux de Xochitl, mais elle ne partageait pas ses sentiments. Il la gardait dans son palais ne lui permettant pas de partir. Il convainc Papantzin de ne pas l'aider à s’enfuir en lui disant que’à sa mort, Xochitl serait le souverain des Toltèques.

Ils eurent un fils nommé Meconetzin. Xochitl menaça de partir en 846, mais Tecpancaltzin réussit à la maintenir là-bas en promettant Meconetzin sera le prochain Tlatoani. Tecpancaltzin Iztaccaltzin a été détrôné en 877 ou 885, mais était probablement encore vivant. Après que Xochitl est devenue impératrice, et après sa mort, Maeconetzin est devenu empereur.

« Que veut cette belle enfant ? »  demanda Tecpancaltzin.
« S'il vous plaît, Seigneur, je vous apporte une calebasse d'eau de miel que j'ai récoltée dans le champ de mon père. » dit la jeune fille toute tremblante.
« De l'eau de miel ? Le nom est alléchant en effet! Eh bien, petite abeille butineuse, je ne demande qu'à goûter à cette eau de miel ».
« Gardez-vous-en, Seigneur », s'exclama Hueman, « car ce breuvage pourrait être un poison envoyé par vos ennemis ».
« Un poison ? Tu te fais vieux, Hueman, et tu ne vois pas clair. Comment un visage aussi charmant pourrait-il appartenir à une empoisonneuse ? Va me chercher une coupe »
Une fois que Tecpancaltzin eut fini de boire une coupe, il en demanda immédiatement une autre, puis une autre encore. Lorsque la calebasse fut vide, il s'exclama :
« Par les dieux ! Je refuse de me séparer d'une main qui sait préparer un tel breuvage ! Mon ami, accepterais-tu de me donner ta fille en mariage ? Je t'assure qu'elle est digne d'épouser d'un roi ! »
« Seigneur, intervint Hueman, vous ne pouvez pas vous marier de cette manière. Permettez-moi de consulter les astres et de lire dans notre grand livre, le Teoamoxtli, (livre des origines des Toltèques) pour connaître le destin d'un tel mariage. »
« Oui, c'est cela, lis, consulte, examine. N’oublie pas me transmettre les résultats de tes recherches après la cérémonie du mariage. Les événements auront lieu aujourd'hui. Je l’ordonne. »

C'est ainsi que Xochitl fut couronnée reine de Tollan. Quelques jours plus tard, Hueman s'adressa au roi en ces termes : "Seigneur, ce qui est fait est fait. " Il est important de noter que ce mariage donnera naissance à un fils qui sera à l'origine de la destruction de Tollan. Il sera reconnaissable par la forme de sa chevelure qui ressemblera à une tiare, rappelant ainsi une fleur de maguey.
L'année suivante, Xochitl donna naissance à un fils. Sa coiffure en forme de tiare lui donnait l'apparence d'une fleur de maguey. Cependant, malgré les avertissements de Hueman, Tecpancaltzin était tellement ébloui par sa beauté et sa splendeur qu'il ne les prit pas en considération. Il nomma l'enfant Meconetzin, signifiant "fils du maguey". Meconetzin grandit rapidement. À l'âge de deux ans, il atteignait l'épaule de son père. À l'âge de cinq ans, il maîtrisait l'art de manier l'épée et de bander l'arc avec l'habileté d'un guerrier adulte. À l'âge de huit ans, il était considéré comme un adulte. Malheureusement  pour lui, les chefs principaux de Tollan, influencés en secret par Hueman, n'avaient jamais accepté le mariage du roi avec une simple paysanne. Meconetzin était traité comme un bâtard. À plusieurs reprises, ils essayèrent de le tuer, mais la bravoure et l'habileté de Meconetzin les ont fait reculer. Après plusieurs échecs couteux, ils abandonnèrent leurs efforts pour se débarrasser de lui. De plus, comme Tecpancaltzin vieillissait, cela faciliterait l'élimination de Xochitl et de son fils une fois le nouveau roi élu. Le peuple quant à lui appréciait Meconetzin pour ses vertus et pour le don de l'eau de miel, qui procurait fraîcheur et réconfort à leurs pauvres vies depuis le départ de Quetzalcoatl. Le jour arriva où, selon la tradition toltèque, Tecpancaltzin dut renoncer à sa royauté. Il  nomma Meconetzin comme son successeur. Cependant, les rois toltèques étaient élus plutôt que désignés par succession héréditaire. Trois autres princes de la lignée royale étaient également en lice. Grâce au soutien fervent de Hueman, ils réussirent à rallier tous les insatisfaits et les mécontants, en soulignant, à quiconque voulait les écouter, les origines douteuses de Meconetzin. Par ls suite, la population se scinda en deux factions rivales et fortement antagonistes. Malgré cela, Meconetzin accéda au trône sous le nom de Topiltzin.

Topiltzin, roi-prêtre de Tula né en 947, fils de Mixcoatl, le chef des Toltèques. Vaincu par Tezcatlipoca et exilé au Yucatán, il est à la fois à l'origine de la renaissance de la civilisation maya-toltèque ainsi que du mythe du retour du héros civilisateur
« Ce qui est fait est fait", déclara Hueman au peuple après l'élection. Le roi était prédestiné dans le Teoamoxtli. Admettons cette réalité et faisons preuve de courage face aux difficultés à venir. »

Fleur d'Agave

Cependant, les candidats écartés ne partageaient pas cette perspective. Ils ont mobilisé leurs partisans et ont déclenché une guerre civile.
Topiltzin s'est révélé être très différent de ce qu’avait été Meconetzin. Malgré ses qualités telles que son habileté, son courage  sa force et son comportement habituellement réservé et pacifique, il a fait preuve d'une rigueur inflexible envers les rebelles. Il a mené la guerre avec férocité, sans se préoccuper des vies humaines qu'il mettait en péril. Les magnifiques édifices de Tollan brûlaient et s'effondraient les uns après les autres. À la fin des combats, remportés par Topiltzin, un grand nombre de morts s'accumula dans les rues de la ville, entraînant une terrible épidémie de peste. Elle a éliminé la moitié de la population. Ainsi débuta la prophétie de Hueman. Dans les ruines de la ville, les survivants se sont plongés dans l'eau de miel fermentée, cherchant à oublier leurs souffrances dans l'ivresse du pulque. Topiltzin s'était retranché dans son palais avec son père Tecpancaltzin et sa mère Xochitl. Sa colère belliqueuse semblait apaisée, cependant sa soif de sang n'était pas satisfaite. À la moindre occasion, il faisait arrêter ceux dont il enviait la force ou le talent, et les condamnait à mort après de cruelles tortures. Consumé par ses passions et ses vices, à l'âge de trente ans, il en paraissait soixante. Il inspirait une profonde crainte à quiconque mentionnait son nom. Son nom était maudit par tous. Cependant, il semblait échapper à la mort. Sa période de règne violent s'étendit pendant très longtemps. Hueman observait le cours inéluctable du destin.

Fatigué de tourmenter les humains, le tyran se tourna vers les dieux. Il a profané l'autel de Tezcalipoca et a ordonné la destruction de sa grande pyramide. Par la suite, il s'est déclaré lui-même dieu, exigeant un culte et des sacrifices humains en son honneur. La situation devenait intenable. La foudre a frappé le palais de Topiltzin, le réduisant en cendres. Un séisme secoua la région, entraînant l'effondrement des derniers bâtiments de Tollan. Les rivières de montagne ont débordé et emporté tout sur leur passage avec leurs eaux déchaînées. Des vents violents provenant des montagnes ont soufflé, dispersant les débris de la ville dans toutes les directions.
Tolpitzin et son groupe  réussirent à échapper à la catastrophe. Cependant, face au tyran sans armes, les derniers survivants du peuple toltèque se sont révoltés contre lui. Topiltzin s'échappa en compagnie de son père et de sa mère. Immédiatement, une troupe de guerriers dirigée par Hueman se lança à la poursuite des fugitifs.

Poursuivis par leurs ennemis, les trois fuyards ont atteint les rives d’une large rivière. Un pêcheur était occupé à réparer ses filets près de sa pirogue sur la rive. Topiltzin asséna un coup mortel au malheureux et prit possession de la pirogue. Au centre de la rivière, la légère embarcation a commencé à s'enfoncer sous la charge des trois passagers qu'elle transportait. Topiltzin a saisi ses parents à bras le corps et les a jetés dans les eaux bouillonnantes. Tecpancaltzin, le bon roi, et Xochitl, qui avait inventé l'eau de miel, ont ainsi péri aux mains de leur fils. Après avoir atteint l'autre rive, Topiltzin s'est rendu dans la montagne et s'est caché au fond d'une grotte. Les poursuivants rapidement arrivèrent à l'entrée de la grotte.
« Il est nécessaire de le forcer à sortir en l'enfumant, déclara Hueman, car pour éviter de mourir étouffé au fond de sa cachette, il sera  obligé de sortir. »
Cette décision fut prise et immédiatement mise en oeuvre. En un court laps de temps, l'entrée de la caverne fut dissimulée par un tas de bois mort et de feuilles sèches. Hueman alluma le feu provoquant ainsi l'apparition d'une épaisse fumée. La fumée tournoya rapidement sur elle-même avant de prendre la forme d'une jeune femme. Les guerriers se sont agenouillés en reconnaissant la déesse Mayahuel.
« Cessez ! ordonna-t-elle aux malheureux survivants d'une grande race. En mémoire de l'enfant Meconetzin, je sollicite la clémence envers  Topiltzin. Autorisez son passage. Pendant un millénaire, il parcourra le monde, et malheur à ceux qui croiseront son chemin ! Pourtant, que son histoire serve aux hommes à comprendre la nature et la vie de l'eau de miel : une jeunesse éphémère de fraîcheur et de beauté, une maturité précoce d'ardeur et de courage, et une longue vieillesse empreinte de vice et de honte. Ecartez-vous  courageux Toltèques. Topiltzin porte seul jusqu'au bout le fardeau de son destin.
La vision disparut, la fumée se dissipa et les guerriers silencieux s'écartèrent. Tolpitzin apparut à l'ouverture de la caverne. Hésitant, il fit quelques pas et observa ses anciens sujets avec des yeux rougis. Ensuite, il éclata d'un rire frénétique et commença à descendre prudemment le long du chemin. Il disparut bientôt, mais son rire sinistre résonnait d'un rocher à l'autre avec l'écho.