Le Grenier de Clio : Les religions.

Catharisme

Au Moyen Age, secte d'origine orientale et de caractère dualiste.

Déjà au XIe siècle, la vie religieuse conservait difficilement son équilibre. Beaucoup aspiraient à un retour à la pauvreté et à la simplicité apostoliques, alors que, trop souvent, les prélats offraient le spectacle d'une vie luxueuse et peu édifiante. De là, il était facile de verser dans l'hérésie. Dès 1022 apparurent chez les chanoines de l'église Sainte-Croix d'Orléans des idées étranges sur la Création. Une nouvelle impulsion fut donnée, au cours de la première moitié du XIIe s., par des prédicateurs itinérants comme Pierre de Bruys (mort v. 1140) et Henri de Lausanne (appelé aussi Henri l'Hérétique ou Henri de Cluny [mort 1148]). A ces mouvements sporadiques, volontiers qualifiés de manichéens, le bogomilisme a fourni le cadre doctrinal qui faisait défaut.

L'hérésie des bogomiles, inspirée de celle des pauliciens, eux-mêmes originaires d'Asie Mineure, fut prêchée en Bulgarie par le pope Bogomil, au temps du tsar Pierre (927-969). Elle enseignait le mépris de l'Eglise officielle et l'inutilité de ses sacrements,
le rejet de l'Ancien Testament. Depuis la péninsule des Balkans, l'hérésie fut propagée en Occident par des missionnaires et des marchands. Les guerriers revenus de la deuxième croisade (1148) en furent d'excellents propagandistes.

A partir de 1150 environ, l'hérésie nouvelle se répandit très rapidement dans les pays rhénans, avec des foyers actifs à Bonn et à Cologne, ainsi qu'en Flandre. Elle fit des adeptes surtout parmi les artisans et les marchands. Des relations s'établirent très vite : cinq cathares, venus de Flandre à Cologne, furent brûlés dans cette ville en 1163. Un propagandiste, le clerc Jonas, banni par les archevêques de Cologne et de Trèves vers 1155, fut ensuite condamné par l'évêque de Cambrai. Selon le concile réuni à Reims (1157), les dissidents faisaient une active propagande, occulte et insaisissable.

Dans les régions méridionales, l'hérésie rencontra un terrain très favorable. En Languedoc, on saisit l'activité de la propagande à l'époque du concile de Tours (1163). La force de l'hérésie se manifesta dès 1165 à la conférence de Lombers : les tenants des idées nouvelles y tinrent tête aux prélats méridionaux. En Italie, les régions les plus diverses furent atteintes, mais le principal foyer se développa en Lombardie. Dès 1167, on y trouve un évêque, Marc.
C'est, le même mouvement que l'on retrouve partout, sous les noms les plus divers : patarins en Lombardie, cathares (du gr. katharos, pur) à Cologne, piphles en Flandre, tisserands en Champagne, poplicains dans la province de Sens, ariens et bons hommes dans le Midi. Une véritable révolution religieuse s'est donc produite, opposant Eglise contre Eglise.

Le dualisme modéré.

Croix cathare

Les premiers hérétiques se rattachaient aux bogomiles de Bulgarie (d'où les noms de bulgares, ou bougres). A leur suite, ils rejetaient les sacrements de l'Eglise (en particulier le baptême, l'eucharistie, le mariage), auxquels ils opposaient le consolamentum, l'imposition des mains conférée par un membre de la secte, un « pur », un « parfait ». Celui qui avait reçu ce sacrement devait se soumettre à une discipline stricte, chasteté, abstinence de viande, d'oeufs, de lait et de fromage, observation de trois carêmes par an. Cette vie austère était celle d'une petite minorité, celle des ministres, ou parfaits. Parmi eux, il existait une hiérarchie. Le diacre administrait une petite région. A la tête d'une Eglise, l'évêque était assisté d'un fils majeur et d'un fils mineur, auxquels revenait sa succession.

Aucune obligation n'était imposée aux simples croyants; il leur suffisait de croire que le consolamentum assurait, avec l'entrée dans la secte, le salut. La prière essentielle était l'oraison dominicale, qu'ils récitaient en y ajoutant la doxologie en usage dans les Eglises d'Orient. Le Nouveau Testament était reçu dans la même version que celle des catholiques. Le rejet de l'Ancien Testament n'a pas toujours été aussi total qu'on l'a affirmé. Les cathares vivaient dans un monde entièrement mauvais, le monde visible étant le domaine du diable, ange déchu et révolté. Le Dieu suprême avait créé le ciel invisible, les esprits célestes qui l'habitaient, les quatre éléments. Le démon était seulement l'organisateur du monde sensible. Après sa révolte, Satanaël, relégué avec les esprits qui l'avaient suivi dans le domaine des éléments, avait emprisonné dans des . corps matériels les âmes tombées avec lui.
Ce dualisme n'était pas radical : on le qualifie de dualisme modéré, ou mitigé.

Le dualisme absolu.

Très vite, une seconde vague atteignit, vers 1175, l'Italie du Nord et le d Languedoc. En effet, en Thrace et à Constantinople, le bogomilisme prit une forme différente dans l'Eglise de Dragovitsa : on y croyait à la pleine égalité entre le principe du Bien, créateur du monde invisible, et le principe du Mal, créateur du monde matériel; le Bien et le Mal constituaient deux domaines distincts, engagés dans une lutte sans fin; la création de l'homme s'expliquait par l'action du dieu mauvais. Seul le consolamentum permettait à l'âme d'échapper à l'emprise de la matière et aux épreuves de la métempsycose.

En 1174, l'évêque cathare de Constantinople, Nicétas (ou Niquinta), se rendit en Bulgarie et persuada l'évêque Marc d'abandonner l'ordre de Bulgarie au profit de celui de Dragovitsa. Mais Marc ne tarda pas à avoir des doutes, et il se tourna de nouveau vers l'Eglise de Bulgarie, à laquelle, après sa mort, son ami et successeur Jean le Juif resta fidèle. Mais il ne fit pas l'unanimité autour de lui. En Languedoc, le dualisme absolu connut un très grand succès et s'imposa sans difficulté.

L'évolution.

En Italie, le développement de l'hérésie fut favorisé par l'anarchie politique. Mais, très vite, des divisions profondes se manifestèrent. Les dualistes absolus refusèrent de reconnaître Jean le Juif, et, vers 1180, fondèrent les Eglises de Toscane, avec Pierre de Florence, et de Desenzano (au sud du lac de Garde), avec Jean Bellus. Les cathares de Desenzano, ou albanenses, suivirent dans toute leur rigueur les croyances de l'ordre de Dragovitsa. Ils reconnaissaient la validité d'une partie de l'Ancien Testament (Job, Psautier, Prophètes).
Parmi eux, vers 1230, Jean de Luglio et ses partisans acceptèrent tout l'Ancien Testament, écrit « dans un autre monde ». Dirigés par 500 parfaits au milieu du XIIIe siècle, les albanenses étaient nombreux à Bergame, Crémone, Plaisance, Vérone.

Les dualistes modérés étaient restés groupés, sous la direction de Jean le Juif, dans l'Eglise de Concorezzo (au nord-est de Milan). Avec ses 1 500 ministres, elle était la plus importante; ses membres étaient désignés sous le nom de garatenses ou de concorezzenses. Un de leurs évêques, Nazaire, se rendit en Bulgarie, vers 1190, et en ramena un apocryphe, le Secretum ou Interrogatio Johannis. D'autres dualistes mitigés se rattachèrent à l'Eglise de Bagnolo (près de Mantoue) : les bagnolenses étaient nombreux à Mantoue, à Brescia et à Sirmione; on comptait dans leurs rangs 200 parfaits.

Dans le midi de la France, les querelles doctrinales ne semblent pas avoir tenu une grande place. Le catharisme se développa sans rencontrer de résistance sérieuse, aussi bien dans les villes, avec l'appui de la bourgeoisie, que dans les campagnes, avec l'aide de la noblesse. Il y eut quatre évêques, à Carcassonne, à Albi, à Toulouse, à Agen, chacun d'eux administrant un territoire défini. La croisade des albigeois (1209-1229), menée par Simon de Montfort au profit des Capétiens, désorganisa l'hérésie, mais ne la déracina pas. Les cathares reprirent leurs activités et firent de la citadelle de Montségur leur capitale jusqu'à sa chute, en 1244.
On a confondu sous le terme d'albigeois les cathares et les vaudois, qu'en réalité de violentes polémiques ont opposés les uns aux autres, car ils n'avaient rien de commun.

Dans la France du Nord, on constate l'existence d'un certain nombre de foyers dans un pays où la foule resta hostile aux novateurs. L'hérésie fut difficilement extirpée de La Charité-sur-Loire après 1233. Elle se manifesta en Champagne à Reims, Châlons-sur-Marne, Troyes, au Mont-Aimé. Plus au nord, on retrouve des cathares dans le diocèse de Soissons, puis à Arras, à Cambrai, à Douai, dans la région de Lille. Il existait un évêque de France (du Nord), mais nous ne savons rien sur lui. Dans les pays rhénans, la persistance de l'hérésie décida le pape Grégoire IX à confier la répression à l'inquisiteur Conrad de Marburg (1227). L'activité du catharisme semble avoir été très réduite par la suite.

Le déclin.

Chateau de Montségur

Un tableau du monde cathare vers 1250 a été dressé par l'hérétique converti Rainier Sacconi (mort v. 1262). Il signale déjà la ruine de certaines Eglises. En Champagne, 180 adeptes de l'hérésie périrent sur le bûcher du Mont-Aimé en 1239, et l'évêque de France, avant 1250, vivait en Lombardie. Dans le Midi, les Eglises furent désorganisées par la prise de Montségur et la mort de plus de 200 parfaits et parfaites (1244). L'évêque de Toulouse trouva refuge à Crémone, Plaisance, Sirmione. L'hérésie se maintint à Toulouse, sur quelques points, parmi les artisans, vers 1270-1275; dans la région de Carcassonne, vers 1290; dans celle d'Albi, vers 1300; en dernier lieu, dans la vallée de l'Ariège, au début du XIVe siècle, avec le ministre Pierre Autier. En Lombardie, le catharisme conserva une forte organisation jusque vers la fin du XIIIe siècle, mais les Eglises y furent à leur tour démantelées. Ensuite, l'hérésie vécut obscurément, et seuls quelques groupes isolés subsistèrent jusqu'à la fin du XIVe siècle.

Au premier abord, on peut s'étonner des succès du catharisme. Mais les gens du Moyen Age étaient naturellement dualistes dans l'expression de leur pensée, ils vivaient dans  la hantise du diable. Il existait une conception pessimiste du monde qui s'exprimait dans le mépris, ou contemptus mundi. De plus, les parfaits étaient d'une extrême prudence, ils n'exposaient pas toute leur doctrine devant n'importe qui. Très étendue, l'influence du catharisme est restée souvent superficielle. Ainsi s'explique pour une part son déclin rapide. Sans doute, l'Inquisition a joué un rôle destructeur. Mais la riposte de l'Eglise s'est surtout développée avec la création des ordres mendiants. Les Prêcheurs et les Mineurs ont été les rivaux heureux des parfaits.