Le Grenier de Clio : Légendes médiévales.

Décaméron²

«Je croyais, mes chères et aimables dames, que le vent brûlant et furieux de l’envie n’exerçait sa violence que sur les lieux élevés, ainsi que je l’avais toujours entendu dire à des personnes très-éclairées, et que je l’avais moi-même lu dans les meilleurs auteurs ; mais aujourd’hui, que j’ai fait la triste expérience du contraire, je pense tout différemment. J’ai eu beau suivre le droit chemin, et chercher les lieux les plus bas et les plus retirés, il ne m’a pas été possible d’échapper à ses fureurs : j’ai eu beau ne publier que de misérables nouvelles, et ne les écrire qu’en prose très-simple et très-familière, je n’ai pas laissé d’exciter les clameurs de cette implacable furie.» Introduction de l'auteur à la quatrème journée.

Troisième Journée.

Néiphile évoque la joie de celui « qui s'assure par habileté une chose intensément désirée ou retrouve une chose perdue », argument dont profitent nos conteurs pour égrener une série de thèmes scandaleux dont l'obscénité est, à grand-peine, transfigurée et justifiée par l'art souverain de l'auteur. Parmi les plus célèbres et les plus piquants sont les contes du jardinier Masetto de Lamporecchio (ses prouesses dans un monastère), du roi Agilulfo qui ne réussit pas à démasquer et à punir la folle audace de son palefrenier, de Zima qui conquiert, par un subtil expédient, la femme de l'avare Francesco Vergellesi ; l'incroyable aventure de Ferondo qui est persuadé, par un abbé fourbe d'être mort et ressuscité : l'émouvante histoire de la sage Giletta de Narbonne et la plus audacieuse, peut-être, de toutes, celle de l'ingénue Alibech.

decameron
Décaméron, Bibliothèque de l'Arsenal 111v

(1) Masetto de Lamporecchio s’étant fait passer pour muet devient jardinier d’un couvent de nonnes qui finissent toutes par coucher avec lui.
(2) Un palefrenier couche avec la femme du roi Agilulf. Ce dernier s’en aperçoit, retrouve le coupable et lui tond une mèche de cheveux. Le tondu tond à son tour ses camarades, et se tire ainsi de sa maie aventure.
(3) Sous prétexte de confession et de pureté de conscience, une dame énamourée d’un jouvenceau pousse un moine, sans que celui-ci s’aperçoive de la supercherie, à lui faciliter le moyen de voir son amant.
(4) Don Felice enseigne à frère Puccio comment il deviendra bienheureux en faisant une certaine pénitence. Pendant que frère Puccio fait cette pénitence, don Felice se donne du bon temps avec la femme de celui-ci.
(5) Le Magnifique donne son palefroi à messer Francesco Vergellesi, sous condition de parler seul à seul avec sa femme. Celle-ci ne répondant pas, il fait lui-même la réponse, dont l’effet ne tarde pas à s’ensuivre.
(6) Ricciardo Minutolo aime la femme de Filippello Fighiuolfo. Sachant qu’elle était jalouse de son mari, il lui dit que Filippello a un rendez-vous le jour suivant dans une maison de bains avec sa femme à lui. La dame ne manque pas d’y aller et, croyant être avec son mari, elle couche avec Ricciardo.
(7) Tedaldo, irrité contre une sienne maîtresse, part de Florence. Il y revient quelque temps après sous un déguisement de pèlerin ; il parle à sa maîtresse, lui fait reconnaître son erreur, sauve la vie de son mari qui était accusé de l’avoir tué, le réconcilie avec ses frères, et jouit en paix des faveurs de la dame.
(8) Ferondo avale une certaine poudre et est enterré comme mort. Tiré du sépulcre par l’abbé qui jouit de sa femme, il est tenu par celui-ci en prison, et on lui fait croire qu’il est dans le purgatoire. Une fois ressuscité, il élève comme sien un fils que l’abbé avait eu avec sa femme.
(9) Giletta de Narbonne guérit le roi le France d’une fistule. Elle demande pour mari Beltram de Roussillon, lequel l’ayant épousée contre sa volonté, s’en va de dépit à Florence. Là, il fait la cour à une jeune fille et couche avec Giletta, croyant coucher avec elle. Il en a deux fils; c'est pourquoi, par la suite, la tenant pour chère, il l’honore comme sa femme.
(10) Alibech s’étant faite ermite, le moine Rustico, lui apprend à remettre le diable en enfer. Elle devient ensuite la femme de Néerbale.

Quatrième Journée.

Il existe un violent contraste entre ces contes provoquant souvent le rire et ceux de la Quatrième Journée (Philostrate) durant laquelle «on raisonne de ceux dont les amours connurent une fin malheureuse. Ici encore ne manquent pas les complications romanesques (l'histoire tortueuse des amours sanglantes de trois jeunes hommes et des trois sœurs de Crête ou l'émouvante et héroïque aventure de Gerbino, neveu du roi Guillaume de Sicile), mais plus souvent les contes, dans leur simplicité, révèlent une tragique grandeur. Remarquable et très belle est l'histoire du cruel Tancredi, prince de Salerne, qui, aveuglé par l'idée de venger son honneur, fait tuer l'amant de sa fille Ghismonda et lui fait porter le cœur dans une coupe d'or la jeune femme,  ayant versé pardessus de l'eau empoisonnée, la boit et meurt «. Non moins puissantes et aussi plus émouvantes sont les ligures de la pauvre Isabetta et sa pitoyable folie de la courageuse et malheureuse Andreuola ou de l'infortunée Simons. Il convient de rappeler aussi la nouvelle sur Guillaume de Roussillon dans laquelle le thème, cher à la littérature romane, du mari jaloux donnant à manger à sa femme le cœur de l'amant assassiné, est repris avec une force rare et une grande puissance dramatique.

Lisabetta
Lisabetta et le basilic
W. HUNT (1867)

(1)Tancrède, prince de Salerne, tue l’amant de sa fille, et envoie à celle-ci le coeur de son amant dans une coupe d’or. La jeune fille boit du poison et meurt.
(2) Frère Alberto fait croire à une dame que l'ange Gabriel est amoureux d’elle, et se faisant passer pour lui, il couche plusieurs fois avec la dame. Surpris par les parents de cette dernière, il se sauve de chez elle et se réfugie chez un pauvre homme qui, le lendemain, le conduit sur la place sous le déguisement d’un homme sauvage. Là, il est reconnu, pris et mis en prison.
(3) Trois jouvenceaux aiment trois sœurs et s’enfuient avec elles en Crète. L’aînée tue son amant par jalousie ; la seconde lui sauve la vie en couchant avec le duc de Crète. Son amant l’ayant su, la tue et s’enfuit avec la sœur aînée. Le troisième amant et la troisième sœur sont accusés du meurtre ; ils sont mis en prison, corrompent le gardien et se sauvent à Rhodes, où ils meurent dans la misère.
(4) Gerbino, malgré la parole donnée par son aïeul le roi Guiglielmo, attaque un navire du roi de Tunis pour enlever la fille de ce dernier. Celle-ci est tuée par ceux qui étaient sur le navire. Gerbino les tue tous, et a, à son tour, la tête tranchée par ordre de son aïeul.
(5) Les frères de Lisabetta tuent l’amant de celle-ci. Il lui apparaît en songe et lui montre l’endroit où il est enterré. Elle le retrouve, lui coupe la tête et l’enterre dans un pot de basilic sur lequel elle ne cesse de pleurer. Ses frères lui enlèvent le pot de basilic, et elle meurt peu après de chagrin.
(6) Andreuola aime Gabriotto. Ils se racontent chacun un songe qu’ils ont eu ; après quoi Gabriotto meurt dans les bras de sa maîtresse. Pendant que celle-ci, aidée de sa servante, le porte chez lui, elles sont prises par les gens de la Seigneurie; Le podestat veut lui faire violence ; mais elle ne le souffre pas. Son père l’ayant appris, et son innocence ayant été reconnue, elle est mise en liberté. Ne voulant plus vivre dans le monde, elle se fait religieuse.
(7) Simone aime Pasquino ; ils se donnent rendez-vous dans un jardin. Pasquino s’étant frotté les dents avec une feuille de sauge, meurt. Simone est prise, et voulant montrer au juge comment est mort Pasquino, elle se frotte les dents avec une feuille de sauge et meurt à son tour.
(8) Girolamo aime Salvestra. Cédant aux prières de sa mère, il va à Paris ; quand il revient, il trouve Salvestra mariée. Il pénètre en cachette chez elle et meurt à ses côtés. On le porte à l’église où Salvestra meurt à son tour à côté de lui.
(9) Messer Guiglielmo Rossiglione donne à manger à sa femme le cœur de messer Guiglielmo Guardastagno qu’il a tué et qu’elle aime. La dame l’ayant su, se jette par la fenêtre et se tue. Elle est ensevelie avec son amant.
(10) La femme d’un médecin met dans un coffre son amant endormi et qu’elle croit mort. Deux usuriers emportent le coffre chez eux. L’amant est découvert et pris pour un voleur. La servante de la dame raconte à la Seigneurie que c’est elle qui l’a mis dans le coffre volé par les usuriers, de sorte qu’il échappe à la potence ; les usuriers sont condamnés à l’amende pour avoir volé le coffre.

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