Le Grenier de Clio : Anges et démons.

Démonologie

Face à la théologie écrite, la démonologie jusque-là orale s'est, avec l'imprimerie, diffusée sous une forme stéréotypée, accompagnée de ces représentations infernales qui, elles aussi, passèrent dans les arts nouveaux.

Au XIVe siècle, aucun ouvrage latin et, à plus forte raison, aucun traité en langue romane ne codifiait les principes et les éléments de la sorcellerie en un exposé qui, même bref, aurait assuré son développement.
Dans cet état, remarque R.-L. Wagner, la sorcellerie, «réduite à un ensemble de gestes et de formules purement mécaniques, cantonnée sous sa forme la plus basse chez les paysans, se serait éteinte lentement dans les campagnes peu à peu élevées à une compréhension plus délicate de la foi chrétienne ».

Or, la voici coulée, de la fin du XVe à la fin du XVIe siècle, dans des traités dogmatiques en tête desquels prend place le célèbre Malleus maleficarum, de Jakob Sprenger seul (1487), puis de Sprenger et de Heinrich Institoris (H. Kràmer) [1494], «the most important and most sinister work on demonology », dira R. H. Robbins, que complète, à partir de 1582, le Formicarius de J. Nidier et qui eut, de sa première parution à 1669, 29 éditions.

La voici figée, stigmatisée ou minimisée, pour un peu plus d'un siècle, sous près de 350 titres, parmi lesquels émergent, du côté des adversaires de Satan : outre le
De lamiis et phitonicis mulieribus...
(1489), de Ulrich Molitor,
De la démonomanie des sorciers
(1580) de Jean Bodin, dix fois édité en vingt-cinq ans,
Daemonolatriae libri tres (1595), du procureur général Nicolas Rémy,
le Discours exécrable des sorciers (1603), du grand juge Henri Boguet,
le Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons (1613), de Pierre de Lancre, conseiller du roi au parlement de Bordeaux.

Encore faudrait-il citer les ouvrages de J. F. Pic de La Mirandole, le neveu de l'humaniste, de Pedro Sànchez Ciruelo, de J. Geiler von Kaysersberg, de Johannes Trithemius, de Silvester Prierias, de tant d'autres, pour mesurer, à l'échelle de l'Europe, l'abondance de cette littérature antidémoniaque.

Un démonologue, c'est un spécialiste des démons, mais il ne s'agit pas d'un homme travaillant avec l'Eglise dans le cadre d'exorcismes; c'est plutôt un spécialiste de la littérature démoniaque, qui connaît parfaitement les textes littéraires, religieux ou folkloriques se rapportant aux démons.

Démonologues

Thomas ADY
Auteur d'un ouvrage paru à Londres, en 1656, sous le titre : Une chandelle dans l'obscurité, ou un traité concernant la nature des sorcières et de la sorcellerie. Il est divisé en trois parties : la première analyse les multiples significations de witch, (sorcière) ; la deuxième montre que les preuves retenues contre la sorcellerie ne figurent nulle part dans la Bible la troisième attaque les écrits de différents démonologues protestants.
Collin du Plancy
Collin du Plancy (1793-1887) est un littérateur très fécond, né Plancy aux environs d'Arcis-sur-Aube (10), et neveu de Danton.
Il fonda une maison d'édition à Paris, s'y ruina, s'installa en Belgique et ne revint en France qu'en 1837. A cette époque, il se mit à écrire et à publier des ouvrages de piété (diverses légendes consacrées à la Vierge, aux Origines, aux Sept péchés capitaux, etc.) alors qu'il s'était consacré jusqu'alors aux livres en marge de — ou hostiles à — la religion catholique. Ce sont ces derniers qui devaient lui assurer le passage à la postérité. Son Dictionnaire Infernal, qui l'a rendu célèbre, a connu six éditions différentes entre 1818, époque à laquelle l'auteur était voltairien, et 1863.
Cornélius AGRIPPA DE NETTESHEIM  
Né à Cologne en 1486, il enseigna la théologie à Dôle, fut professeur à Pavie et participa au Concile de Pise. Avocat à Metz, médecin de la famille de Savoie, historiographe de Charles Quint, il fut aussi le « fils très chéri » de Léon X, ce qui n'empêcha pas les dominicains de le traiter de charlatan.
Agrippa fut passionné de kabbale et de magie qui, disait-il, permet de communiquer « avec des forces d'un plan supérieur pour dominer celles d'un plan inférieur ». Il divisa le macrocosme en trois mondes régis chacun par une magie : physique, astrale, religieuse. Pour atteindre ces magies, il faut « mourir au monde ». Son ouvrage principal est le De occulta philosophia. Il mourut dans la misère, à Grenoble en 1533.
John DARRELL
Né en 1562, il reçut une solide éducation à Cambridge et fut l'un des rares exorcistes anglais. Compromis par ses rapports avec les enfants accusateurs : Thomas Darling , de Burton, et William Somers, de Nottingham, il fut cassé par l'archevêque d'York. En 1599, reconnu imposteur, il fut défroqué et condamné à un an de prison. Ses excès amenèrent la publication par l'Eglise d'Angleterre du Canon 72, interdisant l'exorcisme, en 1603. Cela n'empêcha pas l'évêque Hall de le louer, dans un ouvrage paru en 1659, et Richard Boulton de raconter, en 1715, l'histoire du « Nottingham boy » comme si elle avait été véridique...
Frontispice du Dictionnaire infernal.
John DEE
1527-1608. Auteur de 79 livres savants, si copieux et si indigestes pour la plupart que les étudiants les refusaient. Pendant dix années de voyages en Europe, il rechercha les ouvrages de magie (beaucoup sont conservés au British Museum et à l'Ashmodean Museum d'Oxford). Il rencontra J. Wier A à Louvain et Bodin en Angleterre. Il fut même temporairement emprisonné pour sorcellerie, sous la reine Mary. John Kelly abusa de sa naïveté et pratiqua avec lui la nécromancie e en 1581, à Wootton-in-the-dale, pour découvrir des trésors cachés.
Pierre DE LANCRE
 Né à Bordeaux en 1553, Pierre de Rostegny, Sieur de Lancre, parent de Montaigne, fut juge à Bordeaux à partir de 1582.
En 1608, le roi Henri IV le désigna pour enquêter sur la sorcellerie au pays de Labourd (voir Basques). Il y fit brûler plus de 600 sorcières. Il étudia leurs procès dans son Tableau de l'inconstance des mauvais anges (Paris, 1.02), analysant notamment le sabbat  et la lycanthropie (voir Loup-garou). Il se retira près de Cadillac, écrivit deux autres ouvrages sur le sortilège (1622 et 1627) et mourut en 1631.
Martin Antoine DEL RIO
1551-1608. Célèbre savant jésuite, auteur de l'encyclopédie Disquisitionum magicarum, parue en 1599 à Louvain, et dédiée au prince-évêque de Liège. Elle connut une vingtaine d'éditions jusqu'à 1747, et fut traduite en français en 1611.
Crédule et intolérant, l'auteur reprend les grandes lignes du Malleus Maleficarum C. Toutefois, il rejette la lycanthropie et tolère un défenseur légal pour les sorcières. Les six parties de son travail intéressent : 1. magie  en général, alchimie ; 2. magie diabolique : sabbat 4, incubes 4, apparitions réelles ou fausses ; 3. maléfices ; 4. prophéties, divination, épreuves ; 5. instructions aux juges ; 6. rôle du confesseur ; contre-charmes. Par son amitié avec Juste Lipse, il fut accepté par les Protestants et bien connu en Angleterre.
ALBERT LE GRAND
1193-1280. Né sur les bords du Danube, de l'illustre lignée des Bolestadt, il devint dominicain et champion de l'aristotélisme. Esprit universel, il a écrit vingt et un ouvrages après avoir fréquenté diverses universités dont celles de Pavie, Padoue, Bologne, Cologne. Moine exemplaire, il fut attiré sans conteste par l'occultisme. La tradition en rajouta, le présentant comme évocateur des morts et auteur de deux traités assez médiocres : Les secrets du Grand Albert et Les Secrets du Petit Albert, apocryphes du XVIIIe siècle qui, plagiés au XIXe, sont devenus de véritables manuels de sorcellerie dans les campagnes. On lui prête aussi la création d'un automate astral qui répondait par mots et par signes et servait d'oracle. Il fut le maître du grand Thomas d'Aquin (1225-1274) à qui, du même coup, certains ont prêté des activités occultes et qui aurait brisé l'androïde précité (certaines traditions ont prêté de semblables androïdes à Virgile, au Pape Sylvestre Il et à Roger Bacon).
Johan Weyer
Johann Weyer (1515 - 1588) fut le premier à parler de maladies et des "illusions maladives qui infectent le siège de l'esprit" sans toutefois nier l'influence du diable.