Le Grenier de Clio : Mythologie grecque.

Philémon & Baucis²

Philemon et Baucis
Philémon et Baucis par Ryckaert le jeune

Elle souffla sur les braises du foyer jusqu'à ce qu'un bon feu y reprit vie ; au-dessus des flammes, elle suspendit une petite marmite pleine d'eau ; comme celle-ci commençait à bouillir, le mari rentra, portant un beau chou qu'il était allé cueillir dans le jardin. Le chou alla dans la marmite, avec une grande tranche du lard qui pendait à une poutre. De ses vieilles mains tremblantes, Baucis prépara la table qui était bien un peu boiteuse, mais elle y remédia en glissant un éclat de poterie cassée sous un pied. Sur la table elle déposa des olives, des radis et quelques œufs cuits sous la cendre. Le chou et le lard étaient maintenant à point ; le vieil homme approcha deux couches délabrées de la table et pria ses hôtes d'y prendre place et de faire honneur au repas.

Un instant plus tard il posait devant eux des coupes en bois de hêtre, et une jarre en terre cuite contenant un vin qui avait un goût prononcé de vinaigre et largement coupé d'eau. Mais Philémon semblait heureux et fier de pouvoir joindre cet appoint à leur souper et il prenait grand soin de remplir chaque coupe à peine vidée. Les deux vieillards étaient si contents et tellement surexcités par le succès de leur hospitalité, qu'il leur fallut tout un temps pour s'apercevoir d'un étrange phénomène. La jarre restait toujours pleine ; quel que fût le nombre de coupes versées le niveau du vin ne baissait pas. Quand enfin ils se rendirent compte du prodige, ils échangèrent un regard terrifié et ensuite, baissant les yeux, ils prièrent en silence. Puis, tout tremblants et d'une voix mal assurée, ils implorèrent leurs hôtes de leur pardonner la pauvreté des mets offerts.

Philémon et Baucis
Ryckaert le jeune
© Musée de Pau

« Nous avons une oie », dit le vieil homme. « Nous aurions dû la donner à vos Seigneuries. Mais si vous consentez à patienter un peu, nous allons la préparer pour vous.» Mais la capture de l'oie s'avéra une entreprise qui dépassait leurs maigres forces. Ils s'y essayèrent en vain et s'y épuisèrent, tandis que Zeus et Hermès, grandement divertis, observaient leurs efforts.

Et quand Philémon et Baucis, haletants et exténués, durent enfin abandonner leur chasse, les dieux sentirent que le moment d'agir était venu pour eux. Ils se montrèrent, en vérité, très bienveillants. « Ce sont des dieux que vous avez hébergés et vous en serez récompensés », dirent-ils. « Quant à ce pays inhospitalier qui méprise le pauvre étranger, il sera châtié, mais pas vous. » Ils prièrent les deux vieillards de sortir avec eux de la chaumière et de regarder autour d'eux.

Stupéfaits, Philémon et Baucis ne virent plus que de l'eau partout la région tout entière était submergée, un grand lac les entourait. Les voisins ne s'étaient jamais montrés bien aimables pour le vieux couple, qui néanmoins pleura sur eux. Mais une autre merveille sécha les larmes des bons vieillards. La cabane qui depuis si longtemps était leur demeure se transformait sous leurs yeux en un temple majestueux, au toit d'or soutenu par des colonnes du plus beau marbre.

Philemon
Philémon et Baucis
Jean Restout © Musée de Tours

« Bonnes gens », dit Zeus, « exprimez un vœu et nous vous l'accorderons aussitôt. » Les deux vieillards chuchotèrent un instant, puis Philémon parla: «Qu'il nous soit permis d'être vos ministres et les gardiens de ce temple. Oh, et puisque nous avons si longtemps vécu ensemble ne laissez aucun de nous demeurer seul, un jour ; accordez-nous de mourir ensemble.» Emus, les deux dieux acquiescèrent. Longtemps le vieux couple servit dans le grand édifice, et l'histoire ne dit pas s'il leur arriva parfois de regretter leur chaumière douillette et les flammes joyeuses de son âtre. Mais un jour qu'ils se tenaient l'un près de l'autre devant la magnificence dorée du temple, ils se mirent à parler de leur vie ancienne, si dure et cependant si heureuse.

Ils étaient maintenant parvenus à un âge très avancé, et soudain, comme ils échangeaient leurs souvenirs, chacun s'aperçut que l'autre se couvrait de feuilles. Puis une écorce les entoura. Ils n'eurent que le temps de s'écrier tendrement : « Adieu, cher compagnon» ; les mots avaient à peine passé leurs lèvres qu'ils étaient transformés en arbres. Mais ils étaient toujours ensemble ; le chêne et le tilleul n'avaient qu'un seul tronc.

De partout on venait admirer le prodige et des guirlandes de fleurs garnissaient toujours les branches pour honorer ce couple pieux et fidèle.