Le Grenier de Clio : Légendes médiévales.

Décaméron

Neuvième journée .

Nous arrivons, avec ces deux derniers récits à la Neuvième Journée, au cours de laquelle Emilia croit opportun de concéder à chacun la liberté de raconter « ce qu'il lui plait et ce qui lui parait le plus agréable.» Les plus connus sont deux récits licencieux : la nuit aventureuse de Pinuccio à l'auberge du plateau de Mugnone et l'enchantement de Don Gianni ; non moins que le curieux apologue des deux jeunes gens  qui demandent conseil à Salomon et la déconcertante fable de Talano de Molese. Outre leur valeur intrinsèque deux autres contes jouissent d'une plus grande renommée que les autres, en raison des personnages qui y figurent : l'un,  dantesque, l'histoire de la plaisanterie faite par Biondello à Ciano et la vengeance du fameux glouton, qui exploite à telle fin, avec astuce, la légendaire irascibilité de messer Filippo Argenti l'autre, qui narre une pittoresque mésaventure de Cecco Angiolierl, volé et berné par un compagnon d'orgie.

(1) Madame Francesca, aimée d’un certain Rinuccio et d’un certain Alessandro, et n’en aimant aucun, s’en débarrasse adroitement en faisant entrer l’un dans un tombeau comme s’il était mort, et en faisant que l’autre aille l’en tirer, de sorte que ni l’un ni l’autre ne peuvent arriver à leurs fins.
(2) Une abbesse se lève en toute hâte et dans l’obscurité, pour aller surprendre au lit une de ses nonnes qu’on lui avait dit être couchée avec son amant. Étant elle-même couchée avec un prêtre, elle croit mettre sur sa tête son voile appelé psautier, et y met les culottes du prêtre ; ce que voyant la nonne accusée, elle l’en fait apercevoir, est absoute et peut tout à son aise rester avec son amant.
(3) Maître Simon, sur les instances de Bruno, de Buffamaleco et de Nello, fait croire à Galandrino qu’il est en mal d’enfant. Ce dernier, en guise de médecine, donne aux susdits compères des chapons et de l’argent et guérit sans accoucher.

Le Décaméron IX-10, Flandres, 1432 © BnF, Arsenal, Paris

(4) Cecco Fortarrigo joue tout ce qu’il possède ainsi que l’argent de Cecco Angiullieri son maître ; puis il se met à courir en chemise après ce dernier, disant qu’il l’avait volé ; il le fait prendre par des paysans, revêt ses habits, monte sur son cheval et revient en laissant Angiullieri en chemise.
(5) Calandrino s’amourache d’une jeune fille, Bruno lui fait un talisman sous forme d’écrit, en lui disant qu’aussitôt qu’il en toucherait la jeune fille, celle-ci le suivrait. Calandrino ayant obtenu un rendez-vous, sa femme le surprend et fait grand tapage.
(6) Deux jeunes gens logent chez un hôtelier. L’un couche avec sa fille, l’autre avec sa femme. Celui qui avait couché avec la fille, couche ensuite dans le même lit que le père auquel il raconte tout, croyant le dire à son compagnon. Une dispute s’ensuit. La femme de l’hôtelier, étant allée dans le lit de la fille, arrange tout avec certaines paroles.
(7) Talano di Molese rêve qu’un loup déchire la gorge et le visage de sa femme ; il lui dit d’y prendre garde ; elle n’en fait rien, et la chose lui arrivée.
(8) Biondello se joue de Ciacco en lui faisant faire un mauvais déjeuner ; de quoi Ciacco se venge cauteleusement en faisant battre Biondello.
(9) Deux jeunes gens demandent conseil à Salomon, l’un pour savoir comment il pourrait être aimé, l’autre comment il pourrait corriger sa femme acariâtre. Il répond au premier d’aimer, et à l’autre d’aller au pont aux Oies.
(10) Maître Jean, sur les instances de son compère Pierre, fait un enchantement pour changer la femme de celui-ci en jument. Quand il en vient à appliquer la queue, compère Pierre, disant qu’il n’y voulait pas de queue, gâte toute l’opération.

Dixième Journée.

Pamphile est le roi de cette dixième et dernière Journée, par laquelle Boccace a voulu couronner son œuvre de la manière la plus noble, par l'exaltation de cette courtoisie  qui apparaissait à la mentalité médiévale chevaleresque comme la plus haute vertu humaine, la Plus digne règle de conduite dans notre vie ici-bas.

Décaméron illustré par Celedonio Perellón

Le premier conte n'est guère significatif : c'est celui du Chevalier dont le roi Alphonse d'Espagne reconnait mal les mérites et qui doit, par la suite. se persuader de sa magnanimité. L'histoire de Sofronia que, par générosité, l'athénien Gisippo cède à l'ami Tito Quinzio Fulvo, comprend de nombreux détails savoureux d'une préciosité romanesque et raffinée tout à fait dans le goût médiéval, mais la délicate féminité de Dianora et l'assaut de générosité entre son mari et son amoureux, messer Ansaldo apportent à l'étrange fable du jardin fleuri une pénétrante note d'humanité, celle-là même qui rend encore plus émouvante aujourd'hui l'invraisemblable aventure de Gentile de Carisendi, hôte combien scrupuleux de l'épouse de Niccoluccio qu'il aime. Avec Ghino de Tacco, un brigand gentilhomme Qui s'improvise médecin de l'abbé de Cligny, nous retrouverons le thème aventureux qui acquiert cette fois, une neuve et exquise saveur. Les histoires du vieux roi Charles  qui sait vaincre sa folle passion pour une jeune fille et du roi Pierre d'Aragon qui guérit Lisa, malade d'amour pour lut, donnent à Boccace l'occasion de broder, sur de très légers motifs, deux contes singulièrement suggestifs, et d'une extrême délicatesse. Boccace atteint au sublime dans la fable de Mitridanes qui, Jaloux de la réputation de générosité du vieux Natan veut le tuer, et trouve en lui un rival disposé à lui donner sa vie. Se faisant honte de son cruel dessein, il se sent lié à lui par un amour filial. Nous sommes alors dans une atmosphère tendue où l'art nait d'une inspiration heureuse, à la recherche d'une perfection morale tout à la fois idéale et humaine, d'une noble fantaisie qui se comptait à imaginer un monde où les cas les plus étranges et même la magie se mettent docilement à son service. En un tel domaine, la nouvelle de messer Torello trouve une forme narrative d'une perfection Poétique digne de l'Arioste. L'histoire de l'honnête bourgeois de Pavie qui rencontre Saladin incognito et l'honore sans le connaitre, simplement Parce qu'il est son hôte et étranger, et qui dans la suite, croisé et prisonnier est par lui reconnu et récompensé avec un extraordinaire bénéfice, s'enrichit, de page en page, de détails précieux jusqu'à son heureuse conclusion. Elle arrive à force d'art, au miracle de nous faire découvrir la plus palpitante humanité au cœur même de la plus invraisemblable aventure. La très morale histoire de Griselda (le conte moral visant à exalter les plus traditionnelles vertus féminines : il plut tant à Pétrarque qu'il le traduisit en latin) termine les cent nouvelles.

(1) Un chevalier sert le roi d’Espagne. Il croit en être mal récompensé, sur quoi le roi lui prouve que ce n’est pas sa faute mais bien celle de sa mauvaise fortune ; puis il lui fait de magnifiques présents.
(2) Ghino di Taeco fait prisonnier l’abbé de Cluny et le guérit d’une maladie d’estomac ; puis il lui rend la liberté. L’abbé, de retour à la cour de Rome, réconcilie Ghino avec le pape Boniface, et le fait nommer prieur de l’hôpital.
(3) Mitridanes envieux de la générosité de Nathan et étant allé pour le tuer, lui parle sans le connaître. Nathan lui indique le moyen d’atteindre son but, et il va l’attendre, selon ses indications, dans un petit bois, où, Mitridanes l’ayant reconnu, a honte de son crime et devient son ami.
(4) Messer Gentile de Carisendi, de retour de Modène, tire du tombeau où on l’avait ensevelie comme morte, une dame aimée de lui. Revenue à elle, cette dame accouche d’un enfant mâle et messer Gentile la rend, elle et l’enfant, à Niccoluccio Caccianimico, son mari.

Décaméron X-10, Bibliothèque de l'Arsenal

(5) Madame Dianora demande à messer Ansaldo un jardin aussi beau en janvier qu’au mois de mai. Messer Ansaldo, avec l’aide d’un nécromancien, le lui donne. Son mari lui accorde la permission de se mettre à la disposition de messer Ansaldo. Celui-ci, ayant appris la générosité du mari, la relève de sa promesse, et de son côté, le nécromancien, sans rien vouloir de lui, tient messer Ansaldo pour quitte.
(6) Le roi Charles le Victorieux, étant vieux, devient amoureux d’une jeune fille ; rougissant de son fol amour, il la marie honorablement ainsi qu’une de ses sœurs.
(7) Le roi Pierre ayant appris le fervent amour que lui portait Lisa, va la voir pendant qu’elle est malade et la console. Puis il la marie à un gentil chevalier, la baise au front, et dès ce moment se proclame pour toujours son chevalier.
(8) Sophronie., se croyant la femme de Gisippe devient celle de Titus-Quintus Fulvius et part avec lui pour Rome, ou Gisippe arrive lui-même en pauvre état. Se croyant méprisé par Titus, il s’accuse d’avoir tué un homme, afin de trouver la mort. Titus, l’ayant reconnu, se déclare l’auteur du meurtre pour sauver Gisippe, ce que voyant, le véritable coupable se dénonce lui-même. Sur quoi, tous sont mis en liberté par Octave, et Titus donne sa soeur comme femme à Gisippe et lui fait partager tout son bien.
(9) Saladin, déguisé en marchand, est honorablement traité par messer Torello. Ce dernier, partant pour la croisade, fixe à sa femme un délai pour se remarier. Il est fait prisonnier et est conduit vers le Sultan en qualité de fauconnier. Le Sultan le reconnaît, se fait reconnaître par lui et le comble d’honneurs. Messer Torello tombe malade et est transporté en une nuit à Pavie par l'art d’un magicien. Il assiste aux noces qui se faisaient pour sa femme qui se remariait, est reconnu par elle, et rentre avec elle dans sa maison.
(10) Le marquis de Saluces, forcé par les prières de ses vassaux de prendre femme, afin de la prendre à sa fantaisie, épouse la fille d’un vilain, de laquelle il a deux enfants qu’il fait semblant de faire tuer. Puis, donnant à croire à sa femme qu’il ne veut plus d’elle et qu’il a pris une autre femme, il fait revevenir chez lui sa fille comme si elle était sa nouvelle femme, après avoir chassé la première en chemise. Quand il a vu qu’elle prenait toutes ces épreuves en patience, il la reconduit dans sa maison, la tenant pour plus chère que jamais il lui montre ses enfants devenus grands et l’honore et la fait honorer comme marquise.

Fin.

L'exceptionnelle variété des thèmes, du style et des idées fait du Décaméron une œuvre unique dans l'histoire des littératures modernes et a provoqué les plus diverses interprétations sur le caractère et le sens profond de ce chef-d’œuvre.

"Maintenant, laissant chacune dire et croire comme bon lui semble, il est temps de mettre fin à mes discours, et de remercier humblement Celui qui, après une aussi longue fatigue, m’a par son aide mené à la fin souhaitée. Et vous, plaisantes dames, demeurez en paix avec sa grâce, vous souvenant de moi, si par hasard il sert à quelqu’une de vous d’avoir lu ces nouvelles."

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