Avec un gémissement, il s'élança, passa devant le voor et se mit à courir à toutes jambes le long du quai. Une benne à ordures déglinguée surgit brusquement derrière une rangée de bittes d'amarrage goudronneuses, lui barrant la route. Un homme encapuchonné bondit du véhicule et Sumner se figea. Les mains que l'homme tendait étaient couvertes d'écailles bleues et de barbillons.
Un distors ! hurla mentalement Sumner.
Il tenta de se défendre mais le voor encapuchonné était d'une effrayante rapidité. Il prévoyait précisément chacun de ses coups et l'accula entre l'eau et le camion. La peur de Sumner eut raison de sa répulsion et il voulut arracher les yeux de son agresseur, mais le voor lui enserra la main dans une étreinte glacée et l'entraîna à l'arrière du camion. Le vieillard ouvrit les portes métalliques. Ils jetèrent Sumner à l'intérieur et les portes claquèrent.
Sumner était fou de rage. Il avait entendu dire que les voors ouvraient le crâne de leurs victimes pour dévorer, leur cerveau. Il se démena comme un furieux dans le compartiment exigu, rebondissant d'un bord à l'autre, en quête d'une arme. Mais à l'arrière du véhicule, il ne découvrit rien d'autre que des taches de rouille et les bosses qui déformaient la tôle. Avec un hurlement, il se jeta contre les portes qui ployèrent.
À l'instant où il allait de nouveau balancer son corps contre les portières, celle-ci s'ouvrirent en grinçant. Le voor aux mains griffues apparut. Le capuchon de son manteau, rejeté en arrière, révélait un visage de crétin dont le front haut et proéminent débordait par-dessus les orbites, de sorte que ses yeux torves et jaunes devaient regarder par-dessous le crâne. Une face de débile.
— Assieds-toi et ne bouge plus, le gros, intima la voix du vieux voor, venant du côté du camion. Sumner recula. Sa fureur se changeait en terreur glacée. Il ne pourrait pas arracher les yeux de la face de crétin à la chair gonflée et aux lèvres luisantes. Ses traits grotesques lui ôtaient toute force. Il s'effondra contre la paroi, au fond du camion. Avec un hoquet, l'antique guimbarde démarra brutalement, projetant Sumner sur le sol de tôle rouillée. Luttant contre le tangage du véhicule, il rampa vers l'avant du compartiment et glissa les doigts à travers le grillage de l'ouverture ménagée dans la paroi qui le séparait de la cabine. Les deux voors ne lui prêtèrent nulle attention et il regarda, par-dessus leur tête, à travers le pare-brise piqueté d'insectes écrasés, le quai désert sur lequel le camion cahotait.
Accroché au grillage, il observait attentivement le chemin qu'ils empruntaient, dans l'espoir de repérer un détail qui lui donnerais une idée de l'endroit où ils l'emmenaient. Mais c'était sans espoir Le conducteur encapuchonné semblait bifurquer au hasard et rebrousser chemin sans cesse. Sumner crut d'abord qu'ils cherchaient à le désorienter mais cela n'avait guère de sens. Ils m'auraient bandé les yeux si je n'étais pas censé savoir, raisonna-t-il.