Aurélia. Mon bricolage me tombe des doigts. J'ai oublié qu'elle et lui ont fait connaissance par avatars interposés, dans Dieu sait quelle arène du SimDom. Fut un temps où ils partageaient la même manie. Tous deux assez mordus pour qu'ils en viennent à échanger leurs identités véritables derrière mon dos. Minot a eu la chance de décrocher à mi-pente, juste avant que sa passion des jeux virtuels ne l'entraîne par le fond. Aurélia n'a pas eu ce réflexe.

J'ai menti aux services médicaux, je leur ai garanti qu'elle se levait, mangeait sans assistance, faisait ses besoins naturellement. En réalité, elle ne bouge plus depuis des mois, sanglée à son lit pour que sa sonde reste en place et que le casque ne glisse pas de son crâne pelé. J'ai pris le risque de garder Aurélia à la maison. Je refuse de la confier à des mains anonymes. Si elle disparaissait de mes yeux et de ceux du gosse, elle s'évaporerait complètement. Je suis sûr qu'au fond de son coma elle nous devine encore à son chevet. C'est ce qui la retient de virer no-life terminale. Le contact avec les siens, si ténu soit-il.

La seule chose qui nous la rend présente. Je me suis organisé tant bien que mal pour donner le change. La journée, je me fie aux moniteurs installés à côté du lit. Deux appareils à mesurer pouls, tension et consommation d'oxygène. Les machines montent la garde en parallèle, au cas où l'une tomberait en panne. Quand le réseau bugue, le casque à immersion d'Aurélia se branche automatiquement sur des simulations préenregistrées et son perfuseur lui dispense un sédatif antisevrage. Si elle éprouve des difficultés à respirer ou que son rythme cardiaque sort de la norme, le système déclenche une alarme sur mon mobtel. L'alerte me laisse seize minutes pour intervenir, six de plus que le trajet entre le parking d'Ajjo et l'appart. Passé ce délai, l'appel est dévié sur les urgences.

Seize minutes volées de haute lutte aux mouchards des contrôleurs sanitaires. Un temps dangereusement long. Mais un maigre sursis pour ce qu'il reste de notre foyer.