Procheville était une modeste localité, surtout pour un homme de la capitale, une cité où les bâtiments accusaient jusqu'à sept ou huit étages et si vaste qu'un bon marcheur mettait plus d'une journée à la traverser. Ici, des chemins de terre battue sinuaient entre des espaces irréguliers parsemés de constructions et de barrières. Même l'auberge était ordinaire, deux niveaux de grès doré et des tuiles d'ardoise bleue sous lesquelles vivaient des animaux - il les sentait d'ici. L'enseigne figurait un poisson plat, azuréen, une espèce de raie qui s'ébattait sur un fond noir.

Une femme aux habits chamarrés se tenait devant la porte de l'établissement, la peau et les yeux pâles, presque incolores. « Excusez-moi, dit Kit. Où puis-je trouver le bac pour traverser la brume ? » Il se sentit jaugé, sans malveillance toutefois : un étranger de petite stature et à la peau très sombre, vêtu de gris ; un homme de l'est.

La femme sourit. « Eh bien, les bacs sont tous les deux de ce côté. Mais j'imagine que vous voulez surtout un pilote. Rasali Bac est revenue de Loinville la nuit dernière. C'est à elle qu'il faut parler. Elle passe beaucoup de temps au cœur-de-cerf. Je doute toutefois que l'endroit vous convienne, ajouta-t-elle. C'est loin d'être aussi plaisant que le Poisson. Vous cherchez une chambre, monsieur ?

— J'espère dormir ce soir à Loinville », s'excusa Kit. Il visait à l'humilité. L'invisible maillage de connexions dont il aurait besoin pour accomplir sa tâche naissait ici, avec cette première impression, toutes les premières impressions des jours prochains.

« Vous pouvez toujours l'espérer. Rasali ne devrait pas repartir avant un jour ou deux, voire plus. Valo Bac lèvera peut-être l'ancre, mais il le fait moins souvent qu'elle.

— J'ai de quoi payer les traversées, si c'est ce qui la retient.

— Non. Elle franchira la brume quand elle s'estimera prête. Quand elle sentira que c'est possible, si vous me suivez. Mais ça ne vous empêche pas de demander, j'imagine… »