Pandaros, compagnon d'Enée vient d'être tué par Diomède, Enée veut récupérer sa dépouille au sein de la bataille. Il sera sauvé par Aphrodite qui sera blessée.
fils de Tydée = Diomède
Dioné est la mère d'Aphrodite selon Homère

Et le roi des hommes, Enée, eût sans doute péri, si la fille de Zeus, Aphrodite, ne l'eût aperçu : car elle était sa mère, l'ayant conçu d'Anchise, comme il paissait ses boeufs. Elle jeta ses bras blancs autour de son fils bien-aimé et l'enveloppa des plis de son péplos éclatant, afin de le garantir des traits, et de peur qu'un des guerriers Danaens enfonçât l'airain dans sa poitrine et lui arrachât l'âme. Et elle enleva hors de la mêlée son fils bien-aimé.

Mais le fils de Capanée  n'oublia point l'ordre que lui avait donné Diomède hardi au combat. Il arrêta brusquement les chevaux aux sabots massifs, en attachant au char les rênes tendues ; et, se précipitant vers les chevaux aux longues crinières d'Enée, il les poussa du côté des Achéens aux belles jambières. Et il les remit à son cher compagnon Déipyle, qu'il honorait au-dessus de tous, tant leurs âmes étaient d'accord, afin que celui-ci les conduisit aux nefs creuses.

Puis le héros, remontant sur son char, saisit les belles rênes, et, traîné par ses chevaux aux sabots massifs, suivit le fils de Tydée. Et celui-ci, de l'airain meurtrier, pressait ardemment Aphrodite, sachant que c'était une déesse pleine de faiblesse, et qu'elle n'était point de ces divinités qui se mêlent aux luttes des guerriers, comme Athéna ou comme Ényo, la destructrice des citadelles. Et, la poursuivant dans la mêlée tumultueuse, le fils du magnanime Tydée bondit, et de sa pique aiguë blessa sa main délicate. Et aussitôt l'airain perça la peau divine à travers le péplos que les Charites avaient tissé elles-mêmes. Et le sang immortel de la déesse coula, subtil, et tel qu'il sort des dieux heureux. Car ils ne mangent point de pain, ils ne boivent point le vin ardent, et c'est pourquoi ils n'ont point notre sang et sont nommés Immortels. Elle poussa un grand cri et laissa tomber son fils ; mais Apollon le releva de ses mains et l'enveloppa d'une noire nuée, de peur qu'un des cavaliers Danaens enfonçât l'airain dans sa poitrine et lui arrachât l'âme. Et Diomède hardi au combat cria d'une voix haute à la Déesse :

- Fille de Zeus, fuis la guerre et le combat. Ne te suffit-il pas de tromper de faibles femmes ? si tu retournes jamais au combat, certes, je pense que la guerre et son nom seul te feront trembler désormais.

Il parla ainsi, et Aphrodite s'envola, pleine d'affliction et gémissant profondément. Iris aux pieds rapides la conduisit hors de la mêlée, accablée de douleurs, et son beau corps était devenu noir. Et elle rencontra l'impétueux Arès assis à la gauche de la bataille. Sa pique et ses chevaux rapides étaient couverts d'une nuée. Et Aphrodite, tombant à genoux, supplia son frère bien-aimé de lui donner ses chevaux liés par des courroies d'or:

- Frère bien-aimé, secours-moi ! Donne-moi tes chevaux pour que j'aille dans l'Olympe, qui est la demeure des immortels. Je souffre cruellement d'une blessure que m'a faite le guerrier mortel fils de Tydée, qui combattrait maintenant le Père Zeus lui-même.

Elle parla ainsi, et Arès lui donna ses chevaux aux aigrettes dorées. Et, gémissant dans sa chère âme, elle monta sur le char. Iris monta auprès d'elle, prit les rênes en mains et frappa les chevaux du fouet, et ceux-ci s'envolèrent et atteignirent aussitôt le haut Olympe, demeure des Dieux. Et la rapide Iris arrêta les chevaux aux pieds prompts comme le vent, et, sautant du char, leur donna leur nourriture immortelle. Et la divine Aphrodite tomba aux genoux de Dioné sa mère ; et celle-ci, entourant sa fille de ses bras, la caressa et lui dit :

Quel Ouranien, chère fille, t'a ainsi traitée, comme si tu avais ouvertement commis une action mauvaise ?

Et Aphrodite qui aime les sourires lui répondit :

- L'audacieux Diomède, fils de Tydée, m'a blessée, parce que j'emportais hors de la mêlée mon fils bien-aimé Enée, qui m'est le plus cher de tous les hommes. La bataille furieuse n'est plus seulement entre les Troyens et les Achéens, mais les Danaens combattent déjà contre les Immortels.

Et l'illustre déesse Dioné lui répondit :

- Subis et endure ton mal, ma fille, bien que tu sois affligée. Déjà plusieurs habitants des demeures Ouraniennes, par leurs discordes mutuelles, ont beaucoup souffert de la part des hommes. Arès a subi de grands maux quand Otos et le robuste Éphialtès, fils d'Aloè, le lièrent de fortes chaînes. Il resta treize mois enchaîné dans une prison d'airain. Et peut-être qu'Arès, insatiable de combats, eût péri, si la belle Éribée, leur marâtre, [390]  n'eût averti Hermès, qui délivra furtivement Arès respirant à peine, tant les lourdes chaînes l'avaient dompté. Héra souffrit aussi quand le vigoureux Amphitryonade la blessa à la mamelle droite d'une flèche à trois pointes, et une irrémédiable douleur la saisit. Et le grand Hadès souffrit entre tous quand le même homme, fils de Zeus tempétueux, le blessa, sur le seuil du Hadès, au milieu des morts, d'une flèche rapide, et l'accabla de douleurs. Et il vint dans la demeure de Zeus, dans le grand Olympe, plein de maux et gémissant dans son coeur, car la flèche était fixée dans sa large épaule et torturait son âme. Et Péon, répandant de doux baumes sur la plaie, guérit Hadès, car il n'était point mortel comme un homme. Et tel était Héraclès, impie, irrésistible, se souciant peu de commettre des actions mauvaises et frappant de ses flèches les Dieux qui habitent l'Olympe. C'est la divine Athéna aux yeux clairs qui a excité un insensé contre toi. Et le fils de Tydée ne sait pas, dans son âme, qu'il ne vit pas longtemps celui qui lutte contre les Immortels. Ses enfants, assis sur ses genoux, ne le nomment point leur père au retour de la guerre et de la rude bataille. Maintenant, que le fils de Tydée craigne, malgré sa force, qu'un plus redoutable que toi ne le combatte. Qu'il craigne que la sage fille d'Adraste, Egialée, la noble femme du dompteur de chevaux Diomède, gémisse bientôt en s'éveillant et en troublant ses serviteurs, parce qu'elle pleurera son premier mari, le plus brave des Achéens !

Elle parla ainsi, et, de ses deux mains, étancha la plaie, et celle-ci fut guérie, et les amères douleurs furent calmées.

Mais Héra et Athéna, qui les regardaient, tentèrent d'irriter Zeus par des paroles mordantes. Et la divine Athéna aux yeux clairs parla ainsi la première :

- Père Zeus, peut-être seras-tu irrité de ce que je vais dire; mais voici qu'Aphrodite, en cherchant à mener quelque femme Achéenne au milieu des Troyens qu'elle aime tendrement, en s'efforçant de séduire par ses caresses une des Achéennes au beau péplos, a déchiré sa main délicate à une agrafe d'or.

Elle parla ainsi, et le Père des hommes et des Dieux sourit, et, appelant Aphrodite d'or, il lui dit :

- Ma fille, les travaux de la guerre ne te sont point confiés, mais à l'impétueux Arès et à Athéna. Ne songe qu'aux douces joies des Hyménées.

 • Homère, Iliade: V 300 sqq traduction de Leconte de Lisle